CHRONIQUES MUSICALES

 

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Hors Série William Shakespeare

février 2024


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Si William Shakespeare trône au sommet de la littérature britannique, 400 ans après son ère s’est écrite au royaume d’Angleterre la belle histoire de 4 garçons dans le vent devenus rois du rock. Qui n’a jamais fredonné une chanson des Beatles n’est pas terrien ! Depuis leurs débuts en 1960 jusqu’à leur séparation dix ans plus tard, les Fab Four enregistrèrent douze albums et composèrent plus de 200 chansons ; leur succès dans l’histoire de cette industrie est colossal avec plus de 600 millions de disques vendus ! Pourtant, même les plus belles histoires ont une fin et la réussite n’est pas gage de longévité, surtout dans le show business. Paul, John, George et Ringo ne dérogeront pas à la règle et c’est avec l’album Abbey Road qu’ils mirent le point final à une œuvre qui a marqué depuis, toutes les générations.

1969 est une année charnière pour le groupe ; le surmenage, les différents juridiques et personnels ont eu raison de leur camaraderie. Le projet Get back, un album et un film enregistrés en janvier, qui souhaitait convoquer l’énergie de leurs débuts a tourné au pugilat mais souhaitant finir sur une note positive, The Beatles s’accordent autour de l’enregistrement d’un nouvel album pendant l’été. Pour ce qui pourrait être leur dernier, ils rappellent leur réalisateur originel George Martin qui accepte la mission à la condition de laisser au placard leurs discordes et de le suivre sur la direction musicale. Rendez-vous pris.

Mais tout ne se passe pas comme prévu…

L’enregistrement commence sans John qui a eu un accident de voiture avec sa compagne. Il arrive au Studio Abbey Road avec 10 jours de retard mais surtout dans ses valises, une Yoko Ono blessée qu’il fait installer sur un lit médical dans la cabine de prises avec un micro exaspérant ses trois compères. Particulièrement quand elle se lève pour chiper un biscuit dans le paquet d’Harrison qui ne peut retenir une insulte et provoque une nouvelle escarmouche ! Est-ce l’accumulation des tensions, l’affaire du biscuit ou la frustration que seules 2 de ses chansons aient été retenues pour figurer dans l’album, le guitariste se montre taciturne. Ringo ayant quitté puis réintégré le groupe quelques mois auparavant ronge son frein, quant au couple Lennon/Mc McCartney, leur vision diverge tant qu’il leur est difficile d’enregistrer ensemble. Alors les séances s’organisent autour d’un roulement pour que l’on se croise le moins possible, un comble pour George Martin qui le sait mieux que quiconque : la magie des Beatles tient dans la complémentarité de ces 4 musiciens. Donc il guette et ne perd pas une miette de ces fugaces instants où le miracle opère dans le plaisir de créer ensemble. C’est ce qui va se produire sur le dernier morceau du medley de la face B, dernier titre de leur histoire à être enregistré à 4 : The End. Cette chanson rock qui convoque l’essence du groupe puise sa force dans la personnalité de chacun de ses membres. Un solo de guitare de Paul, de John et de George et (même s’il apprécie peu l’exercice), un solo de batterie de Ringo.  À la fin, c’est en mariant leurs voix en un chant harmonisé qu’ils écrivent leur parfaite épitaphe :

« And in the end, the love you take / is equal to the love you make”.

Une phrase signée Paul, cosmique selon John, construite comme un distique dont l’influence Shakespearienne lui a été souvent notifiée. « Ce n’était pas conscient… » dira-t-il. « J’ai étudié Shakespeare et j’étais particulièrement fasciné par la façon dont il utilisait le couplet rimé pour clôturer ses scènes ou ses pièces. Peut-être que quelque part dans mon subconscient… ».

Une fin poétique et hautement symbolique, digne des plus belles histoires vous dis-je !

Et si c’était le grand écrivain lui-même qui la lui avait soufflée ?

Emma Daumas

 

 

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Hors Série Alexandre Dumas, L'inépuisable mousquetaire

novembre 2023


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Un piano aux accords joyeusement dissonants, un basse/batterie synchronisé sur une rythmique sautillante promettaient déjà une écoute enjouée mais quand l’interprète entonne le premier couplet, surprise ! Sa voix accompagnée d’étonnants aboiements synthétiques forment un duo des plus comique qui donne le ton, pour ne pas dire le culte de ce générique de dessin animé. Attention, chronique madeleine de Proust pour enfants des années 80…

En termes d’adaptations, Les trois mousquetaires, œuvre majeure d’Alexandre Dumas père n’est franchement pas en reste. Si de nombreux cinéastes s’en sont emparés (pas moins de 43 films depuis 1912 !), les compositeurs en ont eux aussi fait une source d’inspiration ; œuvres classiques pour orchestre, opéras, comédie musicale retracent le parcours de D’Artagnan et de ses acolytes, ses amours avec Constance, leurs batailles contre les manigances de Milady et du Cardinal de Richelieu… Parmi tant de partitions, il en est une pourtant qui semble avoir plus profondément marqué son époque.

Depuis 1978, une émission télé pour la jeunesse fait cartonner l’audimat de sa chaîne Antenne 2 ; qui ne se souvient pas de Récré A2 n’était pas né ! Alors en 1983, TF1 soucieux de la concurrence se décide à lancer son programme. Présenté par Karen Cheryl, Vitamine débarque dans les petits écrans du mercredi après-midi. La recette est simple : décors colorés, costumes, ambiance joyeuse et dessins-animés ! Pour ces derniers, le choix est vaste ; en plein essor de l’animation, les studios japonais foisonnent de propositions. C’est avec la complicité d’une production espagnole qu’ils vont imaginer une drôle de série : D’Artacan y los tres Mosqueperros. Adaptation libre du roman de Dumas, il met en scène une joyeuse troupe de chiens interprétant les fameux mousquetaires (d’où le jeu de mot, « perros » signifiant chiens). Pour leur générique ils font appel à des pointures, les Italiens Guido et Maurizio De Angelis, connus entre autres pour leur collaboration avec Terence Hill et Bud Spencer. Ils en composent la musique et la font interpréter par les enfants du groupe Los Popitos . Mais pour la version française, la production envisage un ingrédient de plus… C’est qu’à cette époque, il est un couple régnant sur le royaume des chansons pour enfants : Chantal Goya et son mari Jean-Jacques Debout. Ce dernier qui a déjà composé le générique de Capitaine Flamme, est contacté pour adapter les paroles de la chanson et l’interpréter aux côtés d’une autre star dans son domaine, Liliane Davis dont la voix habille toutes les pubs les plus iconiques (de « pousse-mousse, tu pousses et ça mousse » à « Hum Danone » !). Jean-Jacques accepte mais à deux conditions : écrire et composer un nouveau générique à accoler au premier (ce qui représente plus de droits de diffusion) et que Jean-Daniel Mercier, son collaborateur retravaille les arrangements de l’originale. Et c’est ce dernier qui fera la trouvaille car pour coller au pitch, quoi de mieux que des aboiements ? Aux balbutiements du scratch, voici qu’il concocte un petit son reproduisant l’onomatopée canine, le même qu’il utilisera pour la chanson Snoopy de Chantal Goya !

Culte vous dis-je ; il ne vint même pas à l’idée des producteurs du film 3D paru en 2021 et qui reprend les personnages de la série, de se séparer de son générique.

Ce qu’en aurait pensé Dumas ? Nul ne peut l’affirmer, mais à en croire ses dires en matière de goûts musicaux : « … plus l’instrumentation est savante et compliquée, moins je la sens ; vienne au contraire un motif simple, je me sens inondé d’une douceur infinie… », il l’aurait sans doute validé.

Emma Daumas

 

 

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Hors Série, Les livres sacrés du Judaïsme

février 2023


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Une descente de cuivres bondit en cinq pêches dynamiques vers un break de batterie. Tandis que la rythmique si singulière installe son groove, un saxophoniste s’époumone sur de longues notes vibrantes. Alors retentit un « yeah » comme un appel au rassemblement qui se déploie en un chant de gorge brillant et l’on reconnaîtrait ce timbre entre mille ! Il s’agit bien là du Roi du reggae : Bob de son prénom et de son nom Marley.

De l’artiste, on connaît un répertoire riche et inspiré ; la vie de l’homme l’est tout autant… Enfant de Kingston, né d’une mère descendante d’esclave et d’un père britannique ayant rapidement abandonné le foyer, le cœur du petit Bob bat fort pour le football qu’il pratique nus pieds dans les rues du quartier. Mais dans cette Jamaïque des années 50 exaltée par les discours de Marcus Garvey sur l’émancipation des peuples noirs, le mouvement social et spirituel rastafari finit par animer la foi autant que l’artiste qui sommeille en Bob et le conduit dès les années 60 vers la création d’un groupe de musique engagé, The wailings wailers. Les débuts sont modestes mais l’histoire est en marche…

1973 est une année charnière pour le groupe qui vient de signer chez Island Records, label à rayonnement mondial. Discordes et tensions entrainent leur séparation mais leur leader charismatique réunit rapidement une nouvelle formation et se remet en piste. Bob Marley and the Wailers est né. Au même moment, Eric Clapton reprend I shot the Sheriff et propulse les jeunes jamaïcains sous les projecteurs du monde entier. Le brasier s’enflamme, on les réclame à l’international. Alors quand Bob Marley écrit et compose les chansons de son 3ème album Natty Dread, il a la pression ! Très prolifique, il enregistre des dizaines de titres en studio et doit en faire une sélection. L’album sera un succès mais dans les tiroirs, un diamant brut prend la poussière ; ce n’est que 19 ans plus tard, soit 9 ans après sa mort d’un cancer généralisé que le titre est exhumé.

En 1992, Island Records et les proches de Bob Marley travaillent à un coffret inédit, Songs of freedom, mélanges de morceaux rares, démos et coupes d’album… Et c’est là qu’est redécouverte Iron, Lion, Zion chanson qui conte l’exil d’un homme persécuté vers la Terre Promise, thème récurrent chez l’artiste engagé. Retravaillée au goût du jour, boostée par les cuivres et les chœurs de sa femme Rita, le potentiel du morceau écrit 20 ans plus tôt se révèle enfin. À sa sortie, le titre se classe au sommet des charts diffusant sur le monde la quintessence de l’esprit Bob Marley : un style, une voix, un message.

Ce que l’on sait c’est qu’il était un homme pieux appartenant au mouvement rastafari Les 12 tribus d’Israël, il lisait l’ancien testament quotidiennement. Mais ce que l’histoire ne nous dit pas, c’est quelle influence a eu sur lui et sur son œuvre un secret de famille que lui aurait révélé son père, avant de le rejeter. Il serait le descendant d’une famille juive syrienne en exil … I had to run like a fugitive, oh Lord, just to live the life I live, I’m gonna be iron like a lion in Zion!

Emma Daumas

 

 

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Hors Série Guy de Maupassant, La force du désespoir

septembre 2023

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Une douce descente, un pincement glissé sur les cordes d’une guitare sèche précède le lalala d’une voix frisotante. Elle prend la note par le bas pour mieux l’atteindre et l’auditeur par le bras pour lui chanter l’étreinte ; un peu hésitante, toujours souriante on la reconnait bien la voix du chansonnier à l’air tantôt candide, tantôt taquin, un brin grivois et engagé, ce p’tit gars du sud-ouest qui a su faire son trou dans le cœur des Français.

 

Si Pierre Perret s’est fait connaître dans les années 60 pour ses chansons comiques du Tord-boyaux aux Jolies colonies de vacances en passant par Le zizi, en 1995 le public le découvre sous un angle inattendu ; après avoir chanté une réécriture des Fables de La Fontaine, voici qu’il sort un album plutôt osé : Chansons éroticoquines, qui porte bien son nom. Parmi le track listing, quelques hommages à ses auteurs fétiches dont une adaptation d’un poème de Guy de Maupassant.

C’est que dans ce registre, l’écrivain surnommé l’homme aux plus de 300 femmes et à la sexualité réputée fort débridée, déborde d’inspiration au grand dam de la morale ! En 1879, après quelques parutions jugées obscènes comme 69 ou La femme à barbe, il publie Une fille, connu aussi sous le titre Au bord de l’eau ou L’affinité des chairs et c’est la goutte qui fait déborder le vase ! Maupassant s’attire les foudres de la justice ; des poursuites sont engagées contre lui, il faut alors toute l’influence de Flaubert pour éteindre le feu.

Et c’est précisément de ce poème que va s’emparer Pierre Perret. En 1995, personne ne s’offusque à l’écoute de ces vers : Je ne l’entendais pas tant je la regardais, par sa robe entrouverte au loin je me perdais, devinant les dessous et brûlé d’ardeurs folles, elle se débattait mais je trouvais ses lèvres… chantonnés avec gourmandise par « l’ami Pierrot » sur une mélodie sentimentale.

Presque 30 ans ont passé et voilà qu’on s’interroge. De quoi parle ce texte ? Et pourquoi Pierre Perret innocemment l’a rebaptisé Je ne l’entendais pas, cette petite phrase qui en dit long sur le fait que la voix d’une femme soit moins audible que le désir d’un homme ?...

Perret n’est pas le premier à mettre le doigt sur l’épineuse question. Brassens avant lui avait écrit « La fille à cent sous », chanson dont il avoue avoir été inspiré par la lecture d’une nouvelle de Maupassant, Le signe. Le pitch : une bourgeoise observe à la fenêtre d’en face le manège d’une prostituée adressant un signe aux hommes dans la rue et décide pour tester son pouvoir de séduction de le reproduire. Horreur ! ça marche et sommée par l’inconnu d’assumer son geste, la voilà forcée à faire la chose pour s’en débarrasser. Le romantique Brassens fera de l’acte tarifé une histoire d’amour à sa façon : Et ce brave sac d'os dont j'n'avais pas voulu même pour une thune m'est entré dans le cœur et n'en sortirait plus
pour toute une fortune
, mais il n’est pas certain que Maupassant aurait revendiqué la filiation, lui qui refusait farouchement l’attachement amoureux pour ne pas perdre sa liberté.

Que l’on ne s’y méprenne pas, nulle question ici de juger les œuvres comme le fait la morale, elles reflètent une époque et servent de boussoles mais il est intéressant d’observer l’évolution des relations entre les hommes et les femmes par le regard que l’on porte au fil du temps sur celles-ci, car si la question du consentement féminin en 1880, comme dans les cœurs tendres de nos chansonniers du milieu du siècle dernier n’inspirait que romantisme voire érotisme, difficile aujourd’hui de l’appréhender ainsi !

Emma Daumas

 

  

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Hors Série Honoré de Balzac, Illusions perdues d'un visionnaire

juin 2023
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Sur une nappe électrique en ré majeur tendue comme un fil, vient se poser un riff harmonieux, oiseau sifflotant léger de cœur et alors qu’il se déploie, s’envole en de puissants accords une guitare folk aussi brillante que l’astre roi. On serait tentés de se laisser couler dans le miel d’une mélodie printanière, ce serait sans compter sur le goût pour les eaux troubles du peintre de ce tableau ! Quand il ajoute la dernière touche à sa palette, on s’émeut alors d’une voix fragile et stylisée, emplie d’aspérités et force est de constater qu’on ne sait plus très où on est…

Si Gérard Manset avoue aisément une culture littéraire peu étoffée, une poignée de grands écrivains français lui servent de monstres sacrés. Parmi eux, Balzac (en bonne place entre Zola et Nerval) lui a même inspiré une chanson d’amour oui mais platonique ; on la découvre en 2016 sur Opération Aphrodite, 21ème album de l’inclassable chanteur, empruntant le titre de l’œuvre originale du maître, Le Lys dans la vallée. Or, l’existence adresse parfois quelques clins d’œil à ceux qui prennent la peine de bien la regarder ! Car l’écriture de ce roman ne fut pas tout à fait neutre d’intention, surtout en matière d’inspiration…

C’est en 1823 que Balzac ébauche un récit décrivant une femme dévouée à la souffrance mais il délaisse l’ouvrage et ne le reprend que dix ans plus tard, à la suite de la lecture d’un autre roman : Volupté de Charles-Augustin Sainte-Beuve. Vous pensez que, subjugué par celui-ci, il souhaitait lui rendre un vibrant hommage ? Que nenni, Honoré trouve ce roman si mauvais qu’il lui prend l’envie de le réécrire ! Bien sûr, il attire la foudre de son auteur et de quelques critiques qui lui reprochent son plagiat mais ne se démonte pas et de son propre aveu, Le Lys dans la vallée se présente comme une réplique de Volupté, en mieux.

Les voies de l’inspiration ne sont pas toujours très louables… mais qu’importe ! Ce roman devient un mythe littéraire que s’approprieront à leur tour d’autres écrivains, dont Flaubert qui en fait L’éducation sentimentale ou encore Proust avec Un amour de Swann.

Parlant de monstres sacrés, Gérard Manset en a doucement mais surement acquis le statut. Tout au long de ses 55 ans de carrière, celui que l’on compare encore à Bashung, Cabrel ou Christophe a su inspirer lui aussi nombre de jeunes pousses ; Raphaël, Dominique A, Florent Marchet et bien d’autres le placent au sommet de leur panthéon. Si la question de la transmission l’a occupée au point d’en faire un album de featurings alliant son catalogue à la nouvelle génération, celle de l’inspiration, de ses influences semblent pour lui plus insondable. Car Manset se voit comme un tube, un canal : « rien ne m’appartient. Ces créateurs m’ont nourri à mon insu depuis tout petit comme si j’étais un conduit imprégné d’eux. »…

Voilà de quoi ouvrir le champ de la réflexion autour de la propriété intellectuelle dans l’art !

 

Emma Daumas

 

 

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Hors Série Colette, tout feu tout femme

février 2023

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Tandis que les violons, dans une envolée romantique, s’harmonisent à un synthétiseur very seventies, la basse descend les marches de la gamme en cadence avec la guitare. Une oreille attentive peut percevoir sous la guimauve un petit son métallique à faire grincer des dents ; c’est là le subtil alliage qui nous met sur la piste d’une chanson d’amour, oui, mais d’amour qui fait mal. Et quand la voix chaude et grave se pose sur les premiers accords, on reconnait alors l’empreinte indélébile des grands bonheurs alourdis par les drames de la vie.

C’est qu’en terme de drames, Dalida, chanteuse à succès des années 50 à 80 en connaît un rayon ! Mais quel rapport me direz-vous avec la femme de lettre du début du siècle, la grande Colette ? C’est que le destin bâtit parfois des ponts entre les êtres en sous-marin ; ici, le pont est une histoire d’amour, bien peu conventionnelle.

Revenons-en au début, en 1912 précisément. Cette année-là, Colette épouse en secondes noces le journaliste et homme politique Henry de Jouvenel mais très vite, elle découvre qu’il la trompe. À quarante ans passés, blessée par cette trahison, elle entame alors une liaison avec le fils de ce dernier, Bertrand de Jouvenel qui s’apprête à fêter ses 17 ans ! De cette histoire d’amour taboue qui durera cinq ans naîtra le célèbre roman Le blé en herbe. Paru en 1923, malgré les mœurs de l’époque et son sujet jugé provocateur, l’œuvre est un succès.

Faisons maintenant des sauts dans l’Histoire ; en 1954, Le blé en herbe est adapté au cinéma par Claude Autant-Lara. Puis dans les années 70, Pascal Sevran chanteur et parolier (plus tard présentateur de La chance aux chansons), tombe sur le film et a un flash : cette histoire n’a jamais été adaptée en chanson, il faut l’écrire ! Il court alors en parler à son co-auteur Serge Lebrail pour qui cela va résonner particulièrement. Car Serge Lebrail n’est pas celui que l’on croit, il est en fait Simone Goffie, une femme qui dans un monde d’hommes a choisi d’en prendre le pseudonyme pour être autorisée à travailler. Et il se trouve qu’à 60 ans passés, Simone qui donne des stages d’écriture, vient de rencontrer un jeune auteur, Vivien Vallay. Leur histoire restera platonique mais elle dit de cette rencontre « Il m’a regardé comme une vraie femme et il y a longtemps que cela ne m’était pas arrivé ! ». Et c’est ainsi que naquit le texte de la chanson Il venait d’avoir 18 ans.

Mais il fallut encore un coup du sort pour en faire le tube que nous connaissons aujourd’hui.

Pour cela retournons en 1967, Dalida au sommet de sa gloire est heureuse car elle va épouser l’homme de sa vie, le chanteur Luigi Tenco. Mais le drame advient ; après une prestation jugée médiocre au Festival de la chanson de San Remo, l’homme est retrouvé suicidé dans sa chambre d’hôtel. La chanteuse connaît alors une descente aux enfers, soldée par une tentative de suicide ratée. Celui qui parviendra à lui faire remonter la pente s’appelle Lucio, il a vingt ans, il est étudiant à Rome et elle en tombe passionnément amoureuse. Leur histoire ne dure pas mais va laisser des traces ; tombée enceinte par accident, Dalida décide dans le plus grand secret d’un avortement clandestin qui la rendra stérile.

Quand en 1974, Pascal Sevran venu lui présenter ses chansons lui fait écouter Il venait d’avoir 18 ans, elle s’écrie : « Elle est pour moi » ! Dalida a alors 41 ans, c’est l’âge auquel Colette entame sa liaison avec Bertrand de Jouvenel…

Ah ce sacré destin !

Emma Daumas

 

 

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Hors Série A la recherche de Marcel Proust

décembre 2022

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D’un appel énergique, deux accords au piano convoquent une guitare aussi mélancolique qu’elle est électrique. Tandis que les cordes des instruments tressent entre elles leurs émois, une voix claire et puissante, comme le regard de son propriétaire entonne une mélodie sur les mots « on oublie » alors le doute n’est plus permis ; nous avons bien affaire à la reine émotion en matière de chansons, on l’appelle « Nostalgie ».

Comment un jeune néerlandais du nom de Wouter Otto Levenbach débarqué en France à la fin des années soixante va parvenir à faire le pont entre culture populaire et littérature en moins de trois minutes et dix secondes ?

On pourrait bien évoquer sa rencontre avec Eddie Barclay à Saint Tropez puisque le producteur surnommé « L’empereur du microsillon » est celui qui le premier lui tendra la main mais en réalité c’en est une autre qui fera toute la différence… Une histoire d’amour évidemment !

1971 est une année faste pour Wouter devenu Dave ; Alors qu’il intègre la troupe de la comédie musicale à succès Godspell, il croise la route de Patrick Loiseau, jeune auteur et peintre et c’est le coup de foudre. Très vite, la collaboration artistique devient évidente. Si évidente que quand on propose à Dave d’enregistrer ses premiers 45 tours, c’est à Patrick qu’il confie outre la conception de ses pochettes, l’écriture de ses textes…

En 1974, Vanina, une adaptation du tube rock américain Runaway de Jackie Del Shannon, devient leur premier succès ; un titre vendu à plus d’un million d’exemplaires qui va servir de rampe de lancement à la carrière du chanteur et de son parolier. S’en suivent d’autres adaptations mais quand il est question d’enregistrer tout un album, les deux artistes sentent qu’il faut aller plus loin. C’est alors que Patrick Loiseau fait lire à son compagnon Du côté de chez Swann, texte sur les premiers émois amoureux en référence à l’œuvre majeure de Marcel Proust. Mais sur ce coup-là, Dave est sceptique : « Je n’ai pas le public d’Alain Souchon ! » alors comment faire passer la grande littérature dans le domaine de la Variété ? La réponse ne va pas tarder à lui être apportée par Michel Cywie compositeur pour (entre autres) Didier Barbelivien, qui leur propose une musique à la Milord de Piaf : un couplet mélancolique, un refrain entrainant… Il ne s’y trompe pas ! Avec près de 2 millions d’exemplaires vendus, elle devient non seulement le plus gros succès du chanteur mais elle est également l’une des rares chansons populaires à trouver écho auprès d’un public plus intellectuel, passant sur France Inter ou dans Télérama. Quant aux midinettes, elles se précipitent sur le tome un d’À la recherche du temps perdu pour le faire signer à leur idole à la sortie des concerts comme s’il en était l’auteur, loin d’imaginer que les deux hommes préservent au cœur de leurs œuvres respectives, un commun secret.

Emma Daumas

 

 

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Hors Série La psychologie des écrivains

octobre 2022

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À la guitare électrique, un arpège noyé dans une reverb eighties s’égrène lentement quand une voix mutine ornée d’un soupçon de gravité récite un mystérieux quatrain ; alors l’instrument à corde de métal magnétique conclue sur un accord de si et sur sa traîne se pose l’alchimie parfaite entre un timbre et une image, « ce rêve en nous avec ses mots à lui… »

Il serait, si ce n’est indécent, un peu osé de présenter Johnny Hallyday ! Et n’en serait-il pas autant de Michel Berger ? Car pour parler de la chanson qui suit, il ne faut occulter que nous avons affaire ici à la rencontre entre deux mastodontes de la variété française. À l’origine de cette collaboration artistique de taille, non pas une mais deux femmes, les leurs.

Au début des années 80, Johnny travaille avec le directeur artistique Pierre Billon (accessoirement fils de la chanteuse Patachou) ; ils sortent ensemble 8 albums en seulement 4 ans. Si cette collaboration favorise la créativité du chanteur, elle est un peu expérimentale pour le public de l’idole des jeunes et aucun single marquant n’en ressort. Fin 84, alors qu’il s’installe pendant 3 mois au Zénith de Paris pour y donner un show exceptionnel (celui où il apparaît dans une main articulée), Johnny est en plein questionnement… il tourne en rond, sent qu’il a besoin d’évoluer mais ne sait pas à qui s’adresser et c’est sa compagne Nathalie Baye, qui va lui souffler la formule magique : « Et si tu demandais à Michel de t’écrire une chanson ? ». Car cette dernière est une amie du couple Berger/ Gall. Elle organise donc un dîner après l’un des concerts au Zénith, une rencontre au sommet. Mais tout ne se passe pas comme prévu ; très timides, Johnny et Michel esquivent le sujet, tournent autour du pot durant tout le repas sans jamais se lancer et ce n’est qu’au dessert que France met les pieds dans le plat… Quand encouragé, Johnny ose enfin poser la question d’une chanson, à sa grande surprise Berger répond : « ce sera un album ou rien ! ».

C’est ainsi que va éclore Rock’n’roll attitude, l’un des plus grands disques de Johnny Hallyday, d’abord parce qu’il lui offre le renouveau artistique qu’il cherchait mais aussi parce qu’une chanson en particulier va toucher un public plus large encore qu’il ne l’aurait espéré.

En travaillant à ses côtés, Berger découvre rapidement qu’Hallyday est fan de Tennessee Williams, surtout grâce aux films d’Elia Kazan, son préféré étant Une chatte sur un toit brûlant. Il élabore donc une chanson cinématographique qui évoque l’auteur américain, commence par la lecture des derniers vers de la pièce préférée de Johnny déclamés par sa femme Nathalie Baye… Et c’est un carton ! 250 000 exemplaires vendus, certifié disque d’argent, 18 semaines dans le Top 50, la chanson fera même sa réapparition dans les charts à la 3ème place en 2017 à la mort du chanteur !

Tennessee Williams lui aura tant réussi qu’en 2011, Johnny renouera avec lui en montant pour la première fois sur les planches pour y jouer Le paradis sur terre. Alors qu’on lui demande pourquoi à 68 ans se lancer au théâtre, il répondra : « ce désir fou de vivre une autre vie » !

Emma Daumas

 

 

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Hors Série J.R.R. Tolkien, Le seigneur des écrivains

janvier 2020

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Alors que des sons disgracieux, succions et mastications pourraient bien nous soulever le cœur, une voix pure l’enrobe, nue sous sa reverb, assurée pourtant. Sur un air comme seuls les celtes en ont le secret, une ronde harmonique virevolte autour de leur note cheftaine. Soudain, arrive au galop une horde chevaleresque signal d’un danger imminent, entraînant derrière elle un trait de violon dont l’harmonie s’étale et se fait inquiétante. Alors, les bruits d’une nuée de flèches sifflent et ceux de la bouche carnassière s’abattent sur la voix céleste qui s’éteint dans un souffle.

L’exercice de la bande originale contient son lot de codes et le compositeur de musique de film dispose de nombreux outils, palettes harmoniques, textures instrumentales et bruitages pour se mettre au service d’histoires et d’images.

Pour son adaptation cinématographique du Seigneur des anneaux, Peter Jackson n’a pas hésité à faire appel à l’un des maîtres du genre ; lorsqu’il le contacte en l’an 2000, Howard Shore n’en est pas à son coup d’essai. Ce canadien qui a étudié la composition dans le prestigieux Berklee College of Music de Boston, se fait rapidement remarquer par un compatriote, David Cronenberg. Cette collaboration débutée en 1981 lance la carrière du compositeur et l’installe dans un cinéma plutôt sombre ; Le silence des agneaux, Seven, Philadelphia etc… Alors quand les fans de Tolkien apprennent qu’il a été choisi, c’est l’étonnement. Mais les craintes des puristes sont levées dès la scène d’ouverture de La communauté de l’anneau et les douze heures de partition musicale composées par Shore et mixées aux studios Abbey Road, remportent l’adhésion tant du public que des professionnels qui lui décerneront l’Oscar de la meilleure musique de film pour le premier et le troisième volet de la trilogie.

La chanson de Pippin, scène mythique du Retour du roi aurait pu être la parfaite illustration de la maestria d’Howard Shore et pourtant, elle est la seule à ne pas avoir été composée par lui, mais par… Billy Boyd, c’est-à-dire Pippin lui-même ! Car il arrive parfois dans l’histoire de grandes sagas, des petits miracles.

Tout commence par une soirée karaoké en Nouvelle-Zélande ; nous sommes en 1999 au début du tournage et l’équipe des acteurs et scénaristes ont envie de se détendre. C’est ainsi que Liv Tyler, Elijah Wood, Orlando Bloom et Billy Boyd prennent tour à tour le micro ; mais lorsque ce dernier termine sa chanson, il ne se doute pas que la scénariste Philippa Boyens, tombée sous le charme de sa voix, est en train d’imaginer une scène inédite ! Il faut dire que ce britannique d’origine écossaise n’est pas seulement comédien, il a aussi une solide éducation musicale. Philippa n’y tient plus, elle prévient Fran Walsh, co-scénariste et femme de Peter Jackson et écrit la scène qui restera dans les mémoires. Elle tire les paroles de la chanson du livre de Tolkien et l’on propose alors à Billy d’en composer l’air.

Cette séquence aura tellement marqué les fans que 15 ans après cette soirée karaoké, la production demandera à Billy Boyd d’écrire et d’interpréter le générique du dernier film de la saga, Le Hobbit, la bataille des 5 armées en guise de dernier adieu…

Emma Daumas

 

 

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Hors Série Emile Zola, Obstination et génie

septembre 2022

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Sur un riff de guitare vitaminé vient s’écraser une pêche de cymbale qu’on pourrait qualifier de musclée ; alors la basse frétillante se lance dans l’arène, rejointe par la batterie dans une cavalcade rock que rien ne semble pouvoir arrêter… pourtant, un break nous surprend (serait-ce déjà la fin ?) c’est un leurre évidemment ! Le riff reprend de plus belle et une voix maniérée tout enrobée de reverb balance sa punchline, annonçant sa couleur potache…

C’est en 1974 que débarquent les énergumènes d’Au bonheur des dames avec un tube déjanté qui caracole en tête des charts : Oh les filles ! Mais qui aurait pu prédire un tel destin à cette chanson initialement intitulée Sugaree, écrite et composée en 1957 de l’autre côté de l’atlantique ?

Sans doute pas son créateur Marty Robbins, chanteur de country, acteur et animateur américain qui la confie alors au groupe vocal The Jordanaires, anciens choristes d’Elvis. La même année, Dennis Lotis crooner britannique, la popularise dans un style plus jazzy ; mais ce n’est qu’en 1961 qu’elle arrive dans l’Hexagone. Un certain Claude Moine plus connu sous le nom d’Eddy Mitchell, lui offre sa première adaptation en français, Chérie Oh chérie qu’il enregistre avec ses Chaussettes Noires. Un an plus tard, un autre Eddie nommé Vartan, frère de Sylvie, en signe un deuxième jet plus humoristique pour un groupe de minets dont la carrière de rock star ne décollera pas : Les Pingouins. En son sein, Thierry Vincent et Dominique Blanc-Francard qui deviendront respectivement le directeur artistique et l’ingénieur du son du premier album d’Au bonheur des dames, douze ans plus tard…  

Débuté comme une plaisanterie, ABDD comme on surnomme le groupe est le premier surpris lorsqu’il remporte un tremplin musical ; il enthousiasme tant le public avec son look glam, son ton décalé et théâtral que très vite, il s’envole ! Trois albums, des dizaines de concerts… Après la folie Oh les filles, certains membres du groupe entament même une carrière à la télévision ; « Eddick Ritchell » le chanteur charismatique se voit confier l’animation de L’écho des bananes, un magazine de rock sur FR3, tandis que le guitariste « Rita Brantalou » intègre les rangs du Collaro Show.

Mais derrière le succès de ce groupe se cache en réalité un phénomène… le Comedy Rock. En effet, dès l’apparition des rock stars dans les années 50 ont fleuri leur versant parodique. L’acteur, musicien, humoriste et publicitaire américain Stan Freberg lança le mouvement avec ses reprises délirantes d’Harry Belafonte, Elvis Presley et autres Platters. Dans son sillon, s’engouffrèrent comédiens et musiciens du monde entier ; en Angleterre The Goons et leur Goon Show devinrent monument national ! Frank Zappa contribua au mouvement, le tirant vers la satire. Depuis les années 80, un nombre considérable de groupe sont venus alimenter le mouvement : Dread Zepellin, Beatallica, Lounge against the machine … Spinal Tap, un documentaire parodique hilarant de 1984 suivant un groupe fictif de Heavy Metal en tournée est aujourd’hui encore une référence pour les jeunes rockers.

On est bien loin d’Emile Zola, me direz-vous…

Emma Daumas

 

 

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Hors Série Amélie Nothomb, le fabuleux destin

été 2022

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Un petit air aux allures de boîte à musique installe sa ritournelle. Tandis que des accords ondulants soutiennent l’harmonie, une voix haut-perchée vient souffler sur les braises de nos âmes d’enfants. Alors une rythmique de type électronique ouvre les portes d’un univers hybride semé de clair-obscur à l’image de sa créatrice, un drôle d’oiseau qu’on se saurait enfermer dans une case !

Myriam Roulet n’était pas destinée à la musique. Enfant, elle est danseuse classique et suit une formation exigeante, trop rude pour son corps qui n’y tient pas et lâche à l’adolescence. De ce rêve en débris naîtra un désir nouveau, la comédie mais c’est en assistant à un concert des Rita Mitsuko que la jeune femme a une révélation ; quand Catherine Ringer balance son Marcia Baila, elle qui ne peut plus danser sait à présent qu’elle chantera. Au même moment elle tombe amoureuse d’un homme, Mathieu Saladin… il n’y a pas de hasard, il est musicien ! Elle cherche un nom de scène et c’est lui qui le lui souffle : « Il faudrait un nom qui ne te va pas, Robert par exemple !». Et ce sera RoBERT parce qu’elle entend Robe-Air, comme une princesse ! Ceux qui ont troqué l’enfance contre la rigueur ont parfois la nécessité de recréer leur conte de fée ; dans cette entreprise, la chanteuse va trouver ses alliés. En 1991, elle sort son premier disque et tape dans l’œil d’un jeune réalisateur. Michel Gondry lui offre un clip esthétique et branché. Dans la veine de Mylène Farmer, son univers mystérieux et sensuel séduit mais c’est une autre rencontre qui va faire basculer sa carrière…

Quand Amélie Nothomb se voit offrir l’album Princesse de rien d’une certaine RoBERT, elle annonce : « Oh moi les mannequins qui chantent je déteste ça ! » mais elle l’écoute et c’est le flash. « RoBERT est une partie de moi » confiera-t-elle plus tard.

Entre les deux artistes, une relation épistolaire s’installe et l’amitié grandit jusqu’à ce jour où la chanteuse qui prépare un nouvel album reçoit sept textes écrits par la romancière. Et c’est une évidence ; pour la première, c’est une façon de chanter ce qu’elle n’aurait jamais osé écrire, pour la seconde c’est écrire ce qu’elle ne pourra jamais chanter ! Mais la collaboration ne s’arrête pas là…

Lors d’une rencontre avec leurs fans, l’un d’eux interroge « à quand la biographie de RoBERT ? ». Les autres le raillent et s’en amusent, à 35 ans c’est un peu jeune ! Mais Amélie vole à son secours trouvant la question pertinente : « Je vais l’écrire moi-même », puis d’ajouter en loge à l’oreille de son amie « quand je dis quelque chose, je le fais » ! Et en effet, un peu plus tard de lui confier : « Je suis enceinte de toi ».

C’est ainsi qu’est né Robert des noms propres, dixième roman d’Amélie Nothomb qui met en scène la trajectoire d’une enfant danseuse, brisée par une vie remplie d’épreuves dont le destin est de l’assassiner ! Le quatrième album de RoBERT, Celle qui tue, sortira la même année, en 2002. Il se termine sur Requiem pour une sœur perdue, créant ainsi un amusant jeu de miroir.

Emma Daumas

 

 

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Hors Série Le Plaisir dans tous ses sens

juillet 2022

EMMA DAUMAS LIRE MAGAZINE LE PLAISIR

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Sur un clavier de type clavecin, la main gauche assure la base d’un arpège à trois notes et puis la main droite se lance dans une virevoltante mélodie nous plongeant illico au cœur d’un salon baroque empli de menuets, collants et perruques. C’est alors qu’une voix vibrante comme un saut dans le temps, s’étire et se lamente et nous voilà dans une opérette de l’entre-deux guerres souffrant la perte d’un amour, puisque c’est là l’objet de toute œuvre populaire depuis la nuit des temps.

Quand Yvonne Printemps interprète Plaisir d’amour en 1938, c’est un succès ; mais la diva ne s’est pas mouillée car cette chanson alors âgée de 153 ans n’en est pas à son coup d’essai.

Née d’une romance, genre poético-musical inventé au moyen-âge et très populaire du XVIème au XVIIIème, le texte de Plaisir d’amour est issu d’une nouvelle écrite en 1784 par Jean-Pierre Claris de Florian. Ce nom ne vous dit rien ? Pourtant, proche de Voltaire, l’auteur entré à l’Académie Française à 33 ans est considéré alors comme « le meilleur fabuliste après Jean de La Fontaine ». L’année suivante, Plaisir d’amour, originellement intitulé La romance du chevrier est mis en musique par Johann Paul Ägidius Martin dit Jean-Paul Egide Martini, un allemand ayant fait carrière en France dont on ne retiendra dans l’étendue immense de ses œuvres que cette chansonnette, considérée en son temps comme « d’un goût rustique » mais qui dit-on était la préférée de Marie-Antoinette !

Comment expliquer qu’elle ait à ce point traversé le temps ? Un texte fédérateur, une mélodie simple… les débuts peut-être de la grande Variété.

C’est Berlioz qui le premier s’en emparera en 1859, adaptant la partition pour petit orchestre.

En 1902, elle fera partie de l’aventure des premiers enregistrements phonographiques et si nulle trace n’en subsiste, l’on raconte qu’Emile Mercadier en livrera une version intense.

Dans un style lyrique ou plutôt caf’conc’, elle fera fureur dans les années 30 jusqu’en 1955 dans une version magistrale de Tino Rossi.

Mais c’est en 1961 que le destin de Plaisir d’amour va basculer de l’autre côté de l’atlantique ! D’abord avec Joan Baez qui décide d’en adapter le texte en anglais puis le graal, quand Elvis Presley s’inspire de sa mélodie pour son tube I can’t help falling in love with you. D’autres stars internationales suivront, Marianne Faithefull, la countrygirl Emmylou Harris, la soprano Barbara Hendricks… Dans son pays d’origine aussi c’est un déferlement : Nana Mouskouri, Mireille Mathieu, Eddy Mitchell, Brigitte Bardot et même Dorothée ; chacun y va de son adaptation et contribue ainsi à la placer au rang de Grand Classique. Mieux que ça, elle est carrément la chanson française la plus enregistrée au monde !

Si « Plaisir d’amour ne dure qu’un instant », Plaisir d’amour dure toute la vie.

Emma Daumas

 

 

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Hors Série Albert Camus, Itinéraire d'un enfant (pas si) gâté

juin 2022

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Un grand coup de baguette s’écrase sur le disque métallique, survient un slide de guitare ondulant comme un western oriental, arrêté dans sa course par une nouvelle claque de cymbale vibrante ; le duel musclé insiste puis se tait et c’est l’entrée en scène d’une basse électrique dévalant les marches de la gamme chromatique jusqu’à rejoindre les autres au centre. Tous trois s’élancent alors dans une cavalcade punk emblématique, venue du sud de l’Angleterre.

Nous sommes en mai 1978, dans un studio du Sussex ; trois jeunes musiciens enregistrent leur toute première démo. Robert Smith, Lol Tholhurst et Micheal Dempsey forment le groupe The Cure et nourrissent l’espoir de devenir rockstars. Chris Parry chez Polydor reçoit leur maquette, lui qui a l’ambition de créer son label parie alors sur le trio pour se lancer et sort dès le mois de décembre le premier 45 tours du groupe, Killing an arab. Et ça marche ! Les fanzines relayent, le public plébiscite cette chanson singulière au tempo endiablé inspirée par une œuvre romanesque d’Albert Camus. C’est que son auteur, le chanteur et guitariste Robert Smith, la porte avec panache. L’adolescent apathique, amateur de littérature, dont le but fantasmé de la vie se résumait à « s’asseoir au sommet d’une montagne et mourir » a trouvé dans le punk « la cure » contre l’insignifiance du monde.

Aussi, lorsqu’en 1979, le Front national vient distribuer des tracts racistes à l’entrée d’un de ses concerts provoquant baston générale et polémique, c’est la douche froide. Que n’ont-ils pas compris ? Smith peu bavard et enclin à se justifier décide d’y répondre par un pied de nez : à chaque concert, il change les paroles. Un coup l’« arab » devient « englishman », un autre « americanman », parfois même « Kevin Keegan » (illustre joueur de Liverpool) ! Même si le producteur doit désormais envoyer un exemplaire de The outsider aux médias avec le disque, les choses se tassent.

Entre 1980 et 1982 le groupe explose et son succès devient mondial. Mais en 1986 à la sortie de leur première compilation, la chanson est rediffusée sur une radio américaine ; le présentateur remet alors un peu d’huile sur le feu en annonçant « une chanson sur le fait de tuer des Arabes »… tollé général dans la communauté arabo-américaine ! La distribution du disque est perturbée, un sticker réfutant toute connotation raciste doit être collé sur la jaquette. Dans les années 90, nouveaux déboires pendant la guerre du golfe ou la chanson est détournée à des fins de propagande anti Saddam Hussein ; idem après les attentats du 11 septembre 2001 d’Oussama Ben Laden.

La coupe est pleine pour Robert Smith, en 2005 il décide d’en changer le titre pour « Kissing an arab », « Killing another » à partir de 2007…L’œuvre a échappé à l’artiste, comme souvent mais pour d’autres raisons, il en est dépossédé. Curieuse destinée, tel un Meursault à son procès, il ne lui reste plus qu’à assister à toutes les dénaturations de ses intentions, impuissant, étranger.

Emma Daumas

 

 

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Edition Spéciale Vive le livre audio !

juin 2022

LIRE MAGAZINE EMMA DAUMAS LIVRES AUDIO
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Sur les crépitements d’un vieux vinyle, l’arpège saccadée d’un banjo discrètement désaccordé, un flow souple se pose et nous plante ses personnages dans le décor sonore. Alors le souffle sautillant d’un orgue vintage vient s’ajouter à celui du conteur. Sommes-nous dans une guinguette, un club de jazz, chez les manouches ? Un poil titi, un brin dandy, le conteur se fait chanteur et nous embarque avec malice dans l’histoire d’une famille de renfrognés pas piquée des hannetons.

C’est en 9 minutes chrono qu’Alexis HK et Liz Cherhal écrivent, en vacances, La maison Ronchonchon. Pourtant ils le sentent, c’est une chanson dont on leur parlera longtemps ; « une de ces chansons qui collent comme du chewing-gum » ! Mais le démarrage ne se passe pas comme espéré… initialement paru dans Les affranchis, quatrième album du chansonnier alors petit protégé du grand Aznavour, le morceau détonne voire, irrite jusqu’à se faire « fracasser » dans les colonnes de Télérama. HK encaisse, fair-play. Il est vrai que le ton est osé pour un album de la maturité !

Mais coup de théâtre lorsque son éditeur l’appelle, il croit en cette chanson et lui propose d’en faire tout un album, encore mieux : un livre-disque pour enfants. Alors les planètes s’alignent… Pour l’écriture à quatre mains Liz et Alexis, un casting d’interprètes de choix : Juliette, Jehan et Loïc Lantoine pour les personnages principaux, aux manettes le réalisateur Mathieu Ballet enfin l’illustrateur Roberto Pesle. En 2010, l’équipe donne vie à Ronchonchon et compagnie et les critiques sont cette fois dithyrambiques !

D’autres figures de la Chanson française se sont déjà essayées à l’exercice avec succès dont la fratrie Les Ogres de Barback et leur enfant imaginaire Pitt Ocha, une trilogie qui réunit de nombreux invités comme Pierre Perret, Tryo ou encore Les hurlements d’Léo, écoulée à plus de 400 000 exemplaires.

D’autres ont préféré adapter des contes classiques pour enfants ; Anna Karina bercée par les histoires de son compatriote danois Andersen, choisit Le vilain petit canard (viendra La petite sirène) avec Philippe Evno, Philippe Katerine, Arielle Dombasle, Jeanne Cherhal et JP Nataf comme partenaires, un sacré terrain de jeu !

Car là est l’ultime ingrédient de la recette, au-delà d’une famille d’artistes qui se réunit autour de chansons ludiques et de jolies images : ces ouvrages jeune public savent se mettre à la portée de tous et proposent à l’adulte qui les écoute de retrouver son âme d’enfant.

Quant à celui qui les fabrique, il n’est pas rare que la démarche coïncide avec le début de sa parentalité, ce qui laisse présager pour sa progéniture un bel album souvenir …

p.s : si cette chronique n’aborde pas Les larmes de crocodile et autres fables, livre-disque de qualité d’Emma Daumas, c’est parce que bien que contactée, elle a refusé de répondre à nos questions.

Emma Daumas

 

 

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Hors Série Molière, les ultimes secrets d'un homme heureux
février 2022
Emma Daumas Molière Lire Magazine
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En un mouvement énergique, un legato harmonisé, une nuée de violons volette et les notes dégringolent comme des pétales jetés en l’air à l’arrivée des invités… on imagine alors dans la salle de bal tricoter les gambettes, tout en bas et bottines, sur le parquet ciré. Quelques clochettes scintillent annonçant l’imminence de l’arrivée du Roi, du départ de la danse. Mais c’est la Reine qui paraît et de son timbre notoire, vibrato en puissance et roulé de « R » à s’écorcher le gosier, elle captive l’auditoire d’une histoire bien de France !

Nous ne sommes pas à Versailles sous le règne du Roi Soleil mais trois cents ans plus tard, le 20 décembre 1980 en prime-time sur TF1 ! Pour son programme au parfum de fête de Noël, l’émission Numéro 1 produite par Maritie et Gilbert Carpentier accueille en vedette Mireille Mathieu. À l’apogée de sa gloire, d’une carrière internationale qui en fait une fierté nationale (son buste et sa coupe de cheveux ont servi de modèle pour représenter Marianne deux ans plus tôt), celle que l’on compare à Judy Garland, entourée de Gene Kelly ou de Charles Aznavour, embrassant Alain Delon à pleine bouche, navigue sur le plateau comme un petit poisson dans l’eau. Il faut dire que le concept lui va bien : un artiste fil rouge présente chansons et invités, et à la manière d’une comédie musicale se succèdent des tableaux mis en scène et chorégraphiés, où la vedette interprète ses tubes mais aussi, des inédits. Ce soir-là pour l’occasion, elle y présente une nouvelle chanson : Molière, écrite par Charles Level, auteur pour des artistes de Music-Hall tels que Sacha Distel, Marcel Amont ou encore Annie Cordy (c’est à lui que l’on doit La bonne du curé, son plus grand succès). Sur un ton forcément plus classique et une musique de ballet du XVIIème, de celles qui entrecoupaient les actes des pièces de théâtre à l’époque, Mireille qui a revêtu le costume, nous conte la brillante destinée du maître dans un art bien familier à l’avignonnaise.

Si Molière n’est pas un titre phare du répertoire de la chanteuse, en 1982 il sera intégré en face B du 45 tours Nos souvenirs, adaptation du tube de Barbara Streisand, Memory, issu de Cats… une comédie musicale !

Mais revenons à ce soir de décembre 1980 sur le plateau de Numéro 1, une seule femme est invitée à chanter avec Mireille ; toutes deux partagent un goût pour les musicals ainsi qu’un penchant pour la frange rouleau… Chantal Goya.

Or, en 1982 alors que Mireille publie Nos souvenirs, Chantal elle investit la scène du Palais des congrès pour présenter son nouveau spectacle La planète merveilleuse, dont une chanson inédite : Molière, écrite par Jean-Jacques Debout et Roger Dumas !

Hasard de l’inspiration ? L’histoire ne le dit pas… Ce qui est sûr c’est que si dans la version de Mireille Mathieu l’on y dresse un portrait bien conventionnel de l’artiste, dans celle de Chantal Goya, une question est soulevée, taillée pour plaire aux enfants : doit-on vraiment suivre les traces de son père ?

Emma Daumas

 

 

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Hors Série Manga, le phénomène décrypté

février 2022

Lire Manga Emma Daumas
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Sur l’harmonie céleste d’un chœur d’anges rétro futuristes, une voix féminine puissante entonne une envoutante mélodie. Quand une avalanche de toms basse vient s’écraser sur les cymbales, jaillit une salve de trompettes synthétiques eighties reprenant le gimmick sur une cadence entrainante. Alors un guitar hero tout emprunté d’intentions adolescentes, pose des rondes énergiques pour parfaire un tableau aussi kitch que légendaire.

Zankoku Na Tenshi No Teze, traduisez :  La Thèse d’Un Ange Cruel figure dans le Top 5 des chansons les plus écoutées de l’ère du Heisei au Japon, qui compte les trente années de règne de l’Empereur Akihito (1989-2019), une ère symboliquement placée sous le signe de « L’accomplissement de la Paix ». Pourtant, cet hymne n’est pas une prière shinto-bouddhiste mais bel et bien un générique d’anime, une autre religion au pays du Soleil Levant et en particulier, de celui qui aura marqué les années 90, Neon Genesis Evangelion.

Si d’ordinaire les mangas se déploient sur papier avant de devenir une série d’animation, pour celui-ci c’est l’inverse qui se produit. Son créateur, le réalisateur Hideaki Anno alors dépressif a comme bon nombre d’artistes, l’intuition d’une thérapie par la création. Il élabore un univers post apocalyptique, où se mêlent questionnements politiques et existentiels profonds. Pour son opening (générique), il imaginait un extrait du classique d’Alexandre Borodine, les Danses Polovtsiennes mais la chaîne TV Tokyo en décide autrement… Le titre original qui est alors conçu va créer les nouveaux codes du genre.

Car The Cruel Angel’s Thesis peut être perçu comme le prologue de la mythologie Evangelion ; un texte philosophique, un langage sophistiqué, l’interprétation intense de la chanteuse Yoko Takahashi, le tout sur une J-pop music (musique populaire japonaise) totalement calibrée pour les charts… le cocktail est détonnant! À la sortie de la série en 1995, la chanson explose. Elle remporte non seulement un grand succès populaire mais aussi critique, ainsi que de nombreux prix. Elle s’est ensuite transmise aux jeunes générations grâce à des reprises et des parodies et est aujourd’hui encore l’anisong la plus chantée dans les karaokés de Tokyo!

Evangelion série sombre devenue manga fait partie intégrante de la culture, elle est une trace indélébile de l’ère du Heisei qui a vu fleurir tant de catastrophes naturelles et humaines au Japon, comme le signe désenchanté que toutes les prédictions ne peuvent se réaliser…

Emma Daumas

 

 

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Hors Série Jean De La Fontaine L'homme à fables

octobre novembre 2021

EMMA DAUMAS JEAN DE LA FONTAINE LIRE MAGAZINE

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Sur un rythme binaire, un « kick snare » efficace, ondoie la vague régulière d’un synthétiseur en vogue ; une sirène robotique clignote tels les feux d’une soucoupe volante, quand débarquent en fanfare deux ovnis sortis d’un monde parallèle : Bonnets de nageurs augmentés d’antennes bringuebalantes enfoncés sur la tête, nez et joues rouges relevés de l’incontournable nœud papillon à pois, le ton est donné !

Si dans les années 1680 Jean de La Fontaine est élu à l’Académie française, trois cents ans plus tard c’est dans le Collaro Show que le duo clownesque Pit et Rik se fait consacrer avec sa revisite déjantée de la première fable du maître, sans doute sa plus populaire…

C’est dans des villages vacances que Michel Saillard et Frédéric Bodson font leurs premières armes d’humoristes avant d’investir les cafés-théâtres parisiens et de s’y faire remarquer par Stéphane Collaro, alors animateur vedette d’Antenne 2.

Les deux compères ont trouvé la formule pour plaire aux grands, comme aux enfants ; dans leur sketch La cicrane et la froumi, ils usent d’un langage singulier, mélange d’argot, de patois et de pure invention, pour camper les fameux insectes modernisés en vieille bourgeoise radine et en pique-assiette du showbiz. Un jour, Saillard improvise une petite mélodie qu’il présente à Jean-Claude Cosson alors compositeur pour Line Renaud et Nicole Croisille. Ils en font une chanson et c’est le carton ! Sept cent mille ventes de 33 tours, plusieurs disques et une carrière à la télé attendent le duo comique.

Bien des compositeurs furent inspirés par l’œuvre de La Fontaine mais parmi ses fables et contes, La cigale et la fourmi est la plus adaptée : une opérette sous la plume de Jacques Offenbach, un chant choral pour Gounod, un ballet de Poulenc, un jazz-manouche par Charles Trenet et Django Reinhardt, une chanson humoristique dans la bouche de Pierre Perret… Chacun alimenta son aura de grand classique de la culture populaire, tout en se l’appropriant. Car quoi de plus familier pour un artiste que l’histoire de cette cigale bohème et sans-souci confrontée à la dure réalité matérielle sous les traits d’une sérieuse petite ouvrière ?

Si Ésope dans l’originale La cigale et les fourmis a davantage valorisé l’esprit travailleur et besogneux en sa morale, La Fontaine quant à lui, attaché à l’oisiveté comme source créative, laissa planer le doute…

Emma Daumas

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Hors Série Le Petit Prince aux sources de la légende

octobre novembre 2021

LIRE MAGAZINE EMMA DAUMAS LE PETIT PRINCE
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Le moteur flegmatique d’un coucou ronronne en altitude quand, en un éclair, le paterne d’une batterie fracassante vient réveiller le pilote automatique. Sur une pompe de piano empruntée aux grands hits de la pop anglaise, une voix perchée haut décline tout de go son identité imaginaire ; Telle est la fortune du chanteur (comme celle du comédien), pouvoir se vêtir le temps d’une chanson de n’importe quel costume, qu’il soit proche ou lointain de son propre vestiaire… tant que vibre la corde, vocale comme sensible.

Pour Voler de nuit tout commence par une émotion, aussi grande qu’elles peuvent l’être quand elles sont collectives. Nous sommes en 2016, le pays est marqué au fer par les attentats qui ont, peu de temps avant, déchiré l’apparente tranquillité du monde.

Dans la pénombre de son studio, le mélodiste et interprète Calogero s’attelle à la création d’un nouvel album, Liberté Chérie. Pour l’une de ses compositions aux allures d’hymne fédératrice lui vient alors une intuition : Il envoie la maquette à l’un de ses auteurs de prédilection, avec pour consigne que cette chanson devienne « mon Imagine à moi ».

Paul Ecole le reçoit cinq sur cinq et les planètes s’alignent… Lui qui souhaitait depuis longtemps écrire sur Saint-Exupéry décèle là l’occasion inespérée d’enfiler sa combinaison d’aviateur et de sauter dans le cockpit ! Qui mieux placé que l’écrivain-pilote pour diffuser un message de paix, un parfum d’humanisme ? Ecole synthétise alors l’œuvre du maître maniant les images et les mots clés : lettres et rêves qui voyagent dans les étoiles, fleurs, jardin et voix d’enfant qui appelle à dessiner un monde meilleur… 

Quelques années plus tard, Paul Ecole rencontrera François d’Agay, petit neveu d’Antoine de Saint Exupéry, qui lui glissera à l’oreille : « C’est comme si vous aviez connu mon oncle ! Pourtant, vous avez mis dans votre texte quelque chose de très personnel… »

Invités à prendre de la hauteur pour mieux constater l’égalité entre les Hommes, nous découvrons en 2018 la mise en image de cette chanson par le photographe et réalisateur aérien Yann Arthus-Bertrand qui lui apporte en sus, une légère dimension écologique. Comme si l’utopie enfantine née de l’âme du poète résistant, disparu mystérieusement une nuit de juillet 44 à bord de son avion, pouvait aujourd’hui planer sur toutes les formes de combat, toutes les causes solidaires…

Emma Daumas

 

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Hors Série Les Femmes de Lettres / juillet août 2021

LIRE MAGAZINE EMMA DAUMAS FEMMES DE LETTRES
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Une ronde en si mineur tournoie sur le piano et en quatre mesures élégiaques, un souffle glacé se pose sur les cœurs solitaires ; Alors une voix plaintive et sincère appelle son âme sœur à la prendre maintenant, à la prendre telle qu’elle est. Quand la batterie assène son premier coup de flamme, la petite fille s’enfuit et la femme se déclare. Avec son intro ritournelle et ses grandes envolées, le tube de la Reine du Punk aurait-il inspiré celui de La Reine des Neiges ? Audacieuse supposition ! Quoiqu’il en soit Patti Smith a tout d’une fille de la Liberté…

Délivrée d’une enfance sous le joug des Témoins de Jéhovah dans le New Jersey, Patricia Smith s’installe à New York à la fin des années 60. Inspirée par les vers de Rimbaud et la musique de Dylan, c’est dans le berceau du Punk qu’elle désaccorde sa guitare, aiguise sa plume et ajuste son style androgyne. Ainsi sort Horses en 1975, un premier album qui attaque fort : « Jesus died for somebody’s sins but not mine » !

En 78 avec Because the night, elle assoit pour de bon sa Punk Poésie. L’histoire est belle : Le réalisateur Jimmy Iovine se partage entre l’enregistrement de l’album de Springsteen, Darkness on the edge of town et celui de Smith, Easter. Alors qu’un titre jugé trop romantique est écarté de son disque par le premier, Iovine suggère qu’il soit proposé à la seconde. Patti est amoureuse, ce morceau pourrait bien lui coller à la peau. De plus, il a le potentiel d’un hit. La chanteuse adhère… On imagine alors la scène : ce soir-là, elle guette l’appel de son homme, le musicien Fred Sonic Smith alors en tournée en Europe mais il se fait attendre. Les heures passent ; Folle de désir, elle se met à réécrire le texte de Springsteen. À minuit lorsqu’il l’appelle enfin, la chanson est terminée. Elle sera son plus gros succès. Love is a ring on the telephone !

Pour la vie avec lui, elle délaissa les planches, devint épouse et mère ; La littérature comble parfois ses amants d’heureux dénouements mais le plus souvent, le tragique s’en vient sans crier gare faucher l’amour épanoui au milieu de son champ. Un souffle glacé se posa sur le cœur de Fred et l’arrêta un jour de l’hiver 1994. Patti a continué sa route en solitaire, en musique et en mots, de New York à Paris, déclarant sa flamme à l’art, à la vie, toujours sincère, toujours en poésie…

Emma Daumas

  

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Hors Série Baudelaire / avril mai 2021

EMMA DAUMAS LE SERPENT LIRE MAGAZINE BAUDELAIRE
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Au piano, la main gauche assure un tempo terrien. De la droite ondule une vague de notes ; alors un saxo alto vagabonde, dialogue avec la voix vibrante de Ferré qui fait là le pari qu’en 1957, Baudelaire l’aurait joué free jazz.

Cinq ans plus tard c’est au son d’une batucada et d’une flûte aérée, polaroid sonore sur les débuts de la bossa nova, que Gainsbourg rebat les cartes ; l’objet du désir viendrait-il de Rio de Janeiro ?

Dans les années 90, c’est à l’Amérique et à sa Pop eighties que rêve François Feldman lorsqu’il façonne le paysage du serpent charmeur, piochant dans les beat de Jackson, le funk et la langueur de Grace Jones, l’audace érotique de Madonna.

Ils ne s’y sont pas trompés, le succès est au rendez-vous et leur chanson, qui rentre même au top 50 pour 14 semaines consécutives dans le cas Feldman, devient un classique de leur répertoire respectif.   

La liste des musiciens inspirés par Charles Baudelaire est longue. Si Fauré et Debussy s’en étaient inspiré en leur temps, à partir du vingtième siècle, c’est une avalanche de chansonniers et autres pop stars qui s’emparent de l’œuvre romantique ; L’icône Mylène Farmer, l’auvergnat Jean-Louis Murat, le rockeur Damien Saez, la truculente Juliette, ou plus récemment l’explorateur Frànçois ATLAS. Tous semblant aspirer à la même chose : conjuguer Baudelaire à tous les temps, à tous les styles, comme pour mieux nous rappeler l’intemporalité du langage, des images, du rythme du poète.

Le serpent qui danse, l’un de ses écrits les plus emblématiques, éloge de l’amante, déesse érotico-exotique qui rend ivre d’amour, n’est pas passé inaperçu aux yeux de Ferré, de Gainsbourg ou Feldman, peut-être parce qu’il porte au pinacle la thématique la plus universelle aux artistes masculins … la muse. Ah chère muse, à la chevelure profonde, aux âcres parfums, femme ultime aussi sublime qu’idéalisée !

Mais au fait, la muse serait-elle réservée aux hommes ? La version malicieuse de Catherine Sauvage reprenant la mélodie de Ferré en 1961 est sans doute la réponse, certes audacieuse pour l’époque, la plus décalée et finalement contemporaine.   

Emma Daumas

 

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Hors Série L'éloge du doute / avril mai 2021

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Deux guitares classiques tressent les arpèges d’un commun accord, un piano aérien vient ponctuer leurs envolées de petites touches discrètes, alors une voix de femme authentique se pose sur notre cœur et rien qu’en une poignée de mots, « J’aime les gens qui doutent… », on reconnait sa patte, la pointe de lyrisme qu’elle utilise pour timbrer la fin de ses vers. L’effet ne nous coupe pas de son âme, au contraire, on sent bien qu’il est une attention de plus pour l’auditeur, comme un ruban de satin joliment disposé sur un cadeau fait main.

C’est qu’Anne Sylvestre a le goût du bel ouvrage et de l’artisanat. Disciple de Brassens, qui dit d’elle qu’ « avant sa venue dans la Chanson, il nous manquait quelque chose d’important », elle conçoit son œuvre sans concession durant plus de soixante ans, s’adressant aux adultes, aux enfants, abolissant les frontières émotionnelles entre les êtres, devenant même, pionnière en la matière, sa propre productrice.

Sacré personnage, sacré caractère aussi ! « Moi j’arrivais sans crier gare, aussi docile qu’un chardon et je tirais de ma guitare d’assez agréables chansons, j’avais 20 ans quelle richesse ! Mais je savais déjà fort bien qu’c’était pas en montrant mes fesses que je tracerais mon chemin ». Sans jamais trop en montrer donc, ni retourner sa chemise mais en partageant ses sentiments et questionnements existentiels, sa seule impudeur, cette féministe militante s’est faite une place au Panthéon de la Chanson française et dans le cœur de son public, aussi fidèle qu’elle le fut à elle-même.

En 1977, avec Les gens qui doutent, Anne Sylvestre au sommet de son art voulait rendre hommage aux hésitants, aux discrets, lassée par les certitudes hautaines des gens qui l’entouraient. Le succès de cette chanson humaine, intime et pourtant si universelle fut immédiat … Écoutée, partagée, reprise par les générations suivantes (Vincent Delerm, Jeanne Cherhal, Albin de la Simone, Ben Mazué …) elle la suivra jusqu’au bout, au grand dam de la grande dame ! Car telle est la malédiction des chansons populaires qui cristallisent l’instant durant lequel leur créateur a su trouver les mots, pour mieux l’y enfermer. C’était mal connaître cette battante que de croire qu’elle accepterait quelconque réclusion ; onze albums de Chanson et dix-huit Fabulettes s’en suivirent, sans compter les nombreuses collaborations et spectacles… Alors, cette formidable vie d’artiste, de femme engagée et de mère laissait-elle à Anne Sylvestre la place au doute ?

Emma Daumas

 

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Hors Série Frankenstein et les grands monstres de la littérature

mars avril 2021

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Dans un souffle glacé, un grincement de porte, des pas sur un vieux plancher et le tonnerre menacent. Au loin, un loup solitaire hurle à la mort, alors surgit un beat déchirant, surfant une vague de synthétiseurs et c’est l’explosion : un gimmick gros comme un hymne rock, un riff de basse à se déboiter les hanches, enfin, la voix fiévreuse du King of Pop compose sa légende : It's close to midnight something evil's lurkin' in the dark…

En 1982, Jackson déjà loin des Five peine à sortir de son image d’artiste rythm and blues. Quand il enregistre Thriller son cinquième album solo, il a les crocs. Le dieu Quincy Jones est à la manœuvre mais leur dernière collaboration, Off The Wall parue en 79, n’a reçu que des éloges attendus ; le maigre Grammy du meilleur album R’n’B décerné aux musiciens afro-américains met le challenger en rage. Michael sent que sa destinée est ailleurs, il deviendra non pas le plus grand artiste noir de sa génération mais la plus grande Pop Star au monde et c’est maintenant qu’il va le prouver ! N’en déplaise au music business et à MTV, qui refuse toujours de diffuser les clips des artistes de couleur.

Parmi les neuf titres retenus sur les trois cents produits, il y a Starlight, écrite et composée par Rod Temperton légende British du disco, une chanson de lover aux sonorités futuristes et au champ lexical cosmique, de quoi mettre son interprète en orbite.

En studio Quincy se fait tortionnaire, réclame des centaines de prises pour trouver le son de voix de Michael qui, en dehors de la cabine répète ses pas de danse à l’infini. Mais quelque chose ne va pas ; trop doux, pas assez moderne, on demande à l’auteur de réécrire le texte. Michael et Quincy s’attribueront l’un et l’autre cette intuition, Thriller, un concept pour plaire aux jeunes ; La peur plus que l’amour, le monstre au prince charmant ! Alors on sort l’artillerie lourde, effets sonores innovants, narration terrifiante par le maître en la matière, l’acteur Vincent Price au timbre d’outre-tombe. Et ça cartonne ! Thriller, chanson quintessence de l’album éponyme, à ce jour le plus vendu au monde.

Michael Jackson, monstre sacré ou sacré monstre ? Il s’en amuse dans le clip réalisé par John Landis, court métrage de quatorze minutes produit par MTV elle-même, où un Jackson mutant joue à l’histoire dans l’histoire, passe de la fiction au réel et choisi d’assumer : à la fin c’est le monstre qui gagne. Le monstre en lui ? L’histoire nous le dira, il ne comptait pas s’arrêter là…

Emma Daumas

 

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Hors Série Marguerite Duras / novembre 2020

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Quelques notes en ritournelle virevoltent sous la main droite tandis que la gauche assure sa base, tranquille. Un piano solitaire qui suggère le jazz et dont la mélodie nous semble familière, nous invite au salon. Alors s’immisce une voix chaude, timbrée par les volutes tourbillonnant dans la nuit qui s’étire ; la voix de Jeanne Moreau, coutumière des ballades au coin du feu, ici comme chez elle, vient nous conter son histoire. Non-pas la sienne, pas celle d’une femme ni d’un homme mais à travers leurs émois, celle de la musique elle-même ! « Chanson, toi qui ne veux rien dire… » Subtile mise en abîme de l’auteur Duras.

Nous sommes en 1975 et après La femme du Gange, elle confie à nouveau la musique de son film au franco-argentin Carlos d’Alessio, à la condition d’une figure imposée : la réalisatrice demande au compositeur un plagiat du classique Blue Moon, rendu célèbre par le King Elvis et Ella Fitzgerald. Le thème qu’il imagine alors en reprend les bases, mais il le teinte de mélancolie et de langueur. On est loin des envolées orchestrales répandues dans le cinéma de l’après Nouvelle Vague. C’est une chanson simple ; cette chanson-là se sifflote, se pianote, s’écoule au point que la musique devient un filet subliminal emprisonnant les personnages et leur destinée, subtilisant même leurs intentions en l’absence de leurs mots.

À l’écran, une femme sensuelle aux mains de ses amours torturées s’évanouit dans le Calcutta des années 30. Aurait-il fallu la vivre pour fabriquer une œuvre d’images et de musique conforme au vrai monde ? Nul besoin pour les créateurs à la manœuvre, car si l’un est né à Buenos Aires et l’autre à Saïgon, elle dira de lui qu’il vient « du pays de partout », qu’elle vit en lui « la libre circulation des fleuves, de la musique, du désir… ». Les Indes coloniales leur étaient inconnues et ils durent les inventer, peu importe leur réalité pourvu
qu’elles portent en elles une vérité sentimentale... « Chanson de ma terre lointaine, toi qui me parles d’elle maintenant disparue ».

Emma Daumas

 

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Hors Série L'histoire de Lucky Luke / novembre 2020

EMMA DAUMAS LUCKY LUKE

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Un chœur dans l’écho percute les falaises, une voix rauque, brulante comme le soleil s’élève à l’horizon, alors une guitare sèche se met à tricoter quelques arpèges… le décor est posé : c’est un Far West sonore.
Il fallait au moins ça au chant nasillard et dégingandé de Pat Woods, rendu célèbre pour son interprétation « carte postale » de l’emblématique I’m a poor lonesome cowboy. Un hymne américain western, siffloté par le plus belge des cowboys et pourtant composé… par un français. Mais pas n’importe lequel !

Claude Bolling vient alors de signer la b.o. de Borsalino mettant en scène le mythique duo Delon/Bebel lorsqu’il se voit confier la musique de Daisy Town, premier film de Morris et Goscinny tiré des albums de Lucky Luke. Nous sommes en 1971. Comment un jazzman de sa trempe, ayant entamé sa carrière aux côtés de Lionel Hampton, conçoit une country song digne d’un honnête Johnny Cash lui-même au sommet de sa gloire ? C’est là le génie des grands compositeurs de bandes originales au service d’un paysage, d’une histoire…

Celle-ci ne dit pas comment Claude Bolling et Pat Woods se sont rencontrés. Il paraît que ce dernier était de passage à Paris accompagné de la chanteuse Kathy Lowe et qu’ils ont formé alors un groupe aux influences tressées de blues, de old-time américain et… de jazz ! Elle ne dit pas non plus par quel tour de magique alchimie dont seule la pénombre des studios d’enregistrements a le secret, ils ont ensemble transformé la petite bulle finale d’une célèbre b.d. en un classique de la culture pop(ulaire).

Ce qu’on sait en revanche, c’est que Bolling continuera de rider le sommet des charts aux côtés de Jacques Deray, Philippe de Broca et autre Michel Legrand, tandis que Woods renfourchera sa monture pour parcourir le très long chemin qui le ramènera chez lui. Humble et discret, il a depuis publié quelques albums. De l’aube jusqu’au crépuscule, à travers les montagnes et les prairies, il a continué à avancer, comme un cowboy solitaire…

Emma Daumas